Le Petit Peuple

 
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 Strophes lues par l'auteur dans le concert annuel de la Société protectrice de l'enfance, au théâtre du Gymnase à Marseille, le 25 mars 1879.

Derrière nous, vieux peuple, hommes faits, — les adultes, —
Foules aux fronts plissés, pieds lourds, cœurs alentis,
Qui troublons nos cités de cris et de tumultes,
L'Enfant vient, l'Avenir, le peuple des petits.

Toi le blessé d'hier, ô grand peuple de France !
Qui traînas ta douleur par de si noirs chemins,
Songe à ce peuple enfant qui porte l'Espérance,
Le Renouvellement dans ses petites mains.

Ce n'est que par ses fils qu'un peuple peut renaître :
Tu ne refondras pas tes cœurs ni tes cerveaux,
Mais ces petits enfants, si l'on veut, peuvent être
Des hommes plus heureux et des Français nouveaux.

Qu'ils sachent notre histoire et notre expérience
Sans trop goûter pourtant à notre cœur amer,
Et que, pleins de savoir, forts avec patience,
Ils montent, — réguliers et beaux comme la mer !

C'est pourtant le possible et l'espoir, — que ces rêves !
Nos erreurs, ils pourraient ne les imiter pas ;
Nos maux, les ignorer !... — Ah ! soleil qui te lèves,
Sois doux à nos bourgeons quand tu les mûriras !

Ainsi, le sein troublé d'une attente infinie,
Parlent les peuples vieux qu'a déçus le passé ;
Ils espèrent la force, et — qui sait ? — le génie,
Fleur d'abord, fruit plus tard, dans ces bourgeons pressé.

O terre du soleil, France, sœur de la Grèce !
Toi qui sur tes coteaux connais la vigne en fleurs,
Toi qui sais quel trésor de force et d'allégresse
Contient la grappe pleine, orgueil des travailleurs,

Tu sais, tu sais aussi quel frisson d'épouvante
Nous glace jusqu'au sang quand s'élève ce cri :
« Le printemps a trahi la terre ! Il gèle, il vente ;
Les bourgeons sont brûlés… la vendange a péri ! »

Eh bien ! c'est la vendange et la fleur de ta race,
O peuple ! qui périt sur un point du vieux sol ;
C'est la naïveté, c'est la candeur, la grâce,
L'avenir ! que la Mort effleure de son vol !

Au fond de nos cités, — ô Marseille, ici-même ! —
Plus d'un de ces petits, plein d'un secret futur,
Ferme languissamment, sur un sein qui les aime,
Son œil plein d'inconnu, de promesse et d'azur !

La misère les frappe… Un ange noir les touche…
Ils meurent, en crispant bien fort leur frêle main…
Leur œil bleu se ternit… l'angoisse est sur leur bouche…
Ce qui périt en eux aujourd'hui, — c'est Demain !

C'est l'inconnu : Demain ! C'est Demain : l'espérance !
Ah ! détournons ce vent de misère et de pleurs,
Et donnons tous, donnons l'avenir à la France !
Ce que nous sauverons, c'est la Patrie en fleurs !