La Comédie-Française à Alexandre Dumas

 
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La statue est debout. — Et la foule accourue,

Ô Dumas, te revoit vivant, en pleine rue,
Tel que l'on te connait, grand homme et grand enfant,
Bon avec du génie, et simple en triomphant.

Va, si jamais statue à bon droit fut dressée
Au milieu d'une foule attentive et pressée,
C'est la tienne, ô Dumas, prodigieux conteur,
Qui, les dominant tous d'une immense hauteur,
Tenais autour de toi tes lecteurs dans ton ombre,
Sur tous les points du globe, ici, là-bas, sans nombre,
À l'échoppe, aux palais, sur les vaisseaux en mer,
Lecteurs lilliputiens du conteur Gulliver !

Comme il s'est amusé, l'univers, — à te lire !

En même temps, charmeur, tu touchas à la Lyre ;
Et parfois on entend passer un tendre accord
Dans tes drames touffus où souffle un vent de mort,
Et c'est, dans un orage, une forêt penchante
Où quelque oiseau plaintif parfois s'envole, — et chante.

La COMÉDIE en chœur vient ce soir, à son rang,
Te saluer, ô maître, et te saluer grand ;
Te dire que, parmi les maîtres de la scène,
Aucun n'a mieux tenu le public en haleine,
Pris dans l'enchaînement du drame triste ou gai ;
Aucun n'a, sans jamais paraître fatigué,
Mieux soulevé, colosse aux puissantes épaules,
Tout un peuple enchaîné par l'intrigue aux cent rôles !...

À toi, dont les romans étaient du drame encor,
La COMÉDIE en chœur offre sa palme d'or.
… Quand Gautier nous quitta, Victor Hugo, le maître
Qui, seul debout, verra son siècle disparaître,
Dit, saluant du cœur l'esprit qui s'éclipsait :

« Tu pars après DUMAS, Lamartine et Musset… »

Grand vers, qui, buriné par un maître suprême,
Porte, enlacés au sien, trois des grands noms qu'on aime,
Et grand siècle, celui qui fait sur ses tombeaux
Par un tel ouvrier graver des noms si beaux !

Elle est grande, en effet, notre époque féconde,
Parce qu'elle a donné ces poètes au monde,
Mais elle l'est aussi, — les siècles le diront, —
Parce qu'elle a posé le laurier sur leur front,
Parce que, connaissant le génie à son signe,
Mère de fils pareils, elle s'en montre digne !

Ton siècle finissant te consacre ce jour,
Ô Dumas, et Paris te couronne à ton tour ;
Et nous, dans ce théâtre où Corneille à Molière
Parle d'une façon sublime et familière,
Où le tendre Racine à Marivaux sourit,
Où Beaumarchais, Voltaire, échangent leur esprit,
Maître, nous te rendons cet honneur simple et juste
De suspendre la palme au socle de ton buste,
Et de sceller ton nom, dans le marbre incrusté,
Sur deux siècles de gloire et d'immortalité.

[Théâtre (1911), volume II, pages 167-172.]